Dans cette fiction, «Le blog de Olivier Hammam », le personnage principal est “moi”, une personne que je ne suis pas certain d'avoir nommée mais dont j'écris qu'elle porte un nom d'état-civil qui correspond au nom attribué à ce “blog”, c'est-à-dire “Olivier Hammam”, qui par le fait correspond à mon nom d'état-civil – ici, “mon” se rapporte à l'auteur de ces billets et non au personnage de fiction de la série en treize épisode intitulée «Le blog de Olivier Hammam», comme être réel et rédacteur des billets de ce “blog” mon nom d'état-civil est effectivement Olivier Hammam.

 

Sans vouloir me comparer à lui, j'ai procédé dans cette série comme procéda Marcel Proust dans son très long roman À la recherche du temps perdu, où le personnage principal n'est jamais nommé. Les commentateurs d'œuvres littéraires ont pour beaucoup d'entre eux une fâcheuse tendance à vouloir identifier le personnage principal à l'auteur, d'autant plus quand ce personnage est censément le narrateur, ce qui est le cas dans La Recherche. Et Marcel Proust a fait quelque chose de similaire à ce que j'ai fait dans ma petite série: à deux endroits du texte ils suggère, mais sans l'affirmer, que le personnage principal pourrait se prénommer Marcel. La seule raison pour laquelle nombre de commentateurs de La Recherche attribuent le prénom Marcel à ce personnage sont ces deux indices très minces. J'ai même lu que, selon ces commentateurs, Proust aurait pris soin de masquer l'identification du personnage à l'être réel Marcel Proust et que “par erreur” ou “par maladresse” ou “par inadvertance” il aurait laissé échapper cette identification en “oubliant d'effacer son nom“. Ouais, bien sûr, par erreur ou par inadvertance. Pour moi, il a simplement donné un os à ronger à ceux qui croient mieux savoir que l'auteur: en tant qu'auteur je puis vous le certifier, si un auteur met la mention “Roman” sous le titre de son œuvre, et bien, c'est un roman et le personnage principal, serait-il le narrateur et porterait-il le nom de l'auteur, est un personnage de fiction qui n'a aucun rapport avec un être réel de même nom.

 

Ce qui précède est une mise au point: le personnage principal de ma petite série n'est pas l'auteur, il s'agit d'un personnage de fiction qui n'a jamais existé ailleurs que dans les pages de cette fiction, il n'est pas l'auteur. Si vous croyez savoir mieux que moi et que vous n'êtes pas moi, que vous n'êtes pas la personne réelle dont le nom d'état-civil est Olivier Hammam, qui s'est abonnée à Mediapart, qui a créé ce compte et qui a rédigé les billets de ce “blog“, alors vous êtes dans l'illusion, parce que dans la réalité seul l'auteur sait si son personnage est ou non lié à sa propre biographie. Et je vous le certifie, le personnage-narrateur de ma petite série n'est aucunement lié à ma biographie.

 

Cette mise au point faite, discutons de la série en question.

 

Je n'avais pas de but précis en la commençant. Je suis un auteur prolifique, j'écris beaucoup et un peu de tout, des essais, des critiques, des fictions, des sketchs, des poèmes, des libelles, bref, un peu de tout. Quand j'écris des fictions romanesques, très souvent je les commence en campant un personnage un peu fat mais brillant, un rhéteur, et plein de certitudes péremptoires enveloppées dans un discours qui leur donne l'apparence de vérités d'évidence. Le titre même de cette série, “Le blog de Olivier Hammam”, indique assez la fatuité du personnage-narrateur. Ce qui ne me correspond en rien, comme être réel j'ai peu de certitudes et elles sont assez précaires, la vérité, je suis comme tout le monde, je la cherche souvent et la trouve rarement sinon jamais, j'admets un certain talent rhétorique et, hélas, une certaine fatuité, mais pas aussi grande que celle de mes personnages-narrateurs, et quand je me surprends à verser dans la fatuité je pointe la chose ou la rend si outrée qu'elle apparaît clairement telle.

 

Pourquoi faire cela? Je n'ai jamais d'intention précise quand je commence une fiction, sinon celle de m'amuser un peu. Sans le préméditer, ma tendance habituelle est de proposer un tel personnage, un peu ou parfois très ridicule, mais apparemment assez pertinent dans ses propos, pour induire une forme d'identification distancée de mes possibles lectrices et lecteurs avec lui, une personne sympathique et intelligente mais donc, un peu ridicule. Pour le redire, je n'ai pas, ou n'ai que rarement une intention précise, sinon celle-ci, non préméditée cependant: à un moment du récit le personnage a une “prise de conscience”, il se voit tel qu'il est, un faux gentil vrai méchant, une personne qui parle sans connaître et croit sans savoir, un cuistre et un salaud. Bref, un humain ordinaire, vous, moi, n'importe qui, un salaud ordinaire. L'idée implicite est celle-ci: avant de “dire le vrai”, se garantir qu'on n'est pas trop dans le faux, avant d'affirmer, toujours vérifier, et vérifier en premier la validité de ses certitudes. Quand on fait cela, il apparaît souvent que nos certitudes sont assez douteuses, ça peut nous éviter de traiter nos semblables de cons et de salauds, sauf à se placer dans le lot.