Ça concerne plus précisément ce qu'on nomme en français contemporain “trading haute fréquence” ou ”THF”, en ancien français “transactions à haute fréquence ”. Je vous conseille la lecture de l'article de Wikipédia mis en lien, ça vous donnera idée du fonctionnement du bousin. Fondamentalement, il s'agit d'une forme simple dans le principe, sophistiquée dans la mise en œuvre, d'escroquerie. L'article mentionne que le 60 Hudson Street «serait le centre névralgique des transactions à haute fréquence». La raison est d'ordre physique: le bâtiment est géographiquement très proche des bourses qui brassent le plus gros volume de capitalisation au monde, dans le “financial district” de New-York, principalement dans Wall Street, ce qui fait que cet immeuble dédié à la télécommunication est aussi le lieu qui a l'accès le plus rapide aux ordinateurs qui gèrent les transactions électroniques: quand chaque transaction se réalise en une centaine de millisecondes, vaut mieux être à trois qu'à trois cent ou trois mille kilomètres du lieu où elle sera prise en compte si on veut la réaliser avant les concurrents. Cette histoire d'espace virtuel en ce qui concerne les réseaux informatique me fait vachement rire, l'informatique est très réelle, très physique, on communique au mieux à la vitesse de la lumière et en une milliseconde “l'information” parcourt au mieux trois cent kilomètres d'un point à un autre. Les escrocs qui ont mis au point ce machin, le “THF” ne sont pas idiots, donc ils savent qu'on a intérêt à le faire avec des machines très rapides très proches du lieu de transaction et en passant par des relais physiques, des câbles, directement reliés au lieu de transaction. C'est d'ailleurs mentionné dans l'article sur l'immeuble du 60 Hudson Street, «In 2012, equipment for algorithmic trading was installed in buildings close to this one in order to conduct trades microseconds more quickly than in Wall Street a mile away» («En 2012, des équipements pour les transactions algorithmiques sont installées dans des immeubles proches de celui-ci en vue de transporter les transactions en microsecondes plus rapidement que dans Wall Street, à un mile de là»). Je sais, ça peut paraître curieux qu'on puisse transiger plus vite depuis Hudson Street que depuis Wall Street, mais justement les autorités prennent garde que certains passeurs d'ordres ne puissent avoir un accès privilégié aux lieux de transaction, le gars qui a ses bureaux à Wall Street ne peut pas avoir une connexion directe vers la bourse, donc doit en passer par le central le plus proche, qui est situé 60 Hudson Street, résultat, ça lui prend deux fois plus de temps pour passer ses ordres que pour celui qui est installé tout contre cet immeuble.

L'escroquerie est donc simple, et même rudimentaire, dans son principe: être le premier visible pour lever le bras gauche quand la tendance est baissière et à lever le bras droit quand elle est haussière. Ou bien avoir le pouce vers le haut pour la baisse, vers le bas pour la hausse. Enfin, vous voyez le principe. Dans l'article on nous raconte que «Les bénéfices provenant de THF aux États-Unis ont diminué à partir d'un pic d'environ 5 milliards de dollars en 2009, à environ 1,25 milliard de dollars en 2012». Ouais, les bénéfices... Si vous avez bien lu l'article vous aurez compris qu'il ne s'agit pas de bénéfices mais de chiffre d'affaires pour les gagnants, avec de l'autre côté des pertes sèches pour ceux qui ne lèvent pas le pouce assez vite. Il se trouve que ce chiffre d'affaires est un résultat net avant impôts mais on ne peut pas nommer ça un bénéfice, qui est un «profit égal à la différence entre les recettes et les dépenses, sans en déduire les charges (frais d'administration, d'amortissement, intérêts à payer, impôts, etc.»: justement, tout ce qui est à déduire dans les THF ce sont les charges, les passages d'ordres sont nominaux, le trader n'engage rien sinon sa parole et quand il gagne, il a des recettes mais pas de dépenses, c'est donc un chiffre d'affaires; et pour le malchanceux, une perte sèche. Tiens ben, un excellent film, L'Arnaque, explique le principe de ce genre d'escroqueries, qui n'ont pas attendu l'informatique pour être inventées. Dans le film c'est bidon mais dans d'autres contextes, dont celui des échanges boursiers, ça peut ne pas l'être: l'escroc qui monte l'arnaque est censé avoir l'information sur le résultat des courses quelques minutes avant l'annonce officielle, ce qui lui permet de placer des paris pendant ce court laps de temps. C'est sûr que si on connaît le résultat avant de parier on est sûr de gagner, du fait on n'a même pas besoin d'engager son capital pour obtenir un “bénéfice”, le coût de l'engagement sera une charge parmi d'autres et non une dépense. La sophistication est en faible partie dans l'algorithme, pour l'essentiel dans l'architecture physique, se placer au point de plus court accès à l'information, pour s'assurer de ne s'engager à l'achat ou à la vente que quand la tendance est dans le bon sens. Plus on est loin de la source, plus on prend le risque de s'engager à contretemps. Disons, ça ressemble beaucoup aux jeux d'argents dans les casinos, le passeur d'ordre le plus proche de la source faisant office de banque, les autres étant les joueurs – et en THF comme au casino, c'est toujours la banque qui gagne.

Mon titre se rapporte au fait que les “gagnants” de cette histoire ne fournissent aucun travail pour obtenir leurs gains, ou alors on peut considérer que faire des paris à la roulette ou au black jack est un travail. Le banquier – le trader – travaille un peu mais ne reçoit qu'une fraction minime des gains, par contre son ordinateur travaille beaucoup mais n'en est pas récompensé. Bref, je me demande si une société qui récompense les escrocs plutôt que les honnêtes travailleurs est une bonne société. J'ai mon opinion là-dessus mais de ce que j'en comprends elle n'est pas universellement partagée, et notamment pas par mes “responsables” politiques..