Je reprochais récemment à un producteur de billets odorants (mais qui ne sentent pas la rose) de dire “nous” quand le “je” s'imposait, de parler “pour tout le monde” mais de le faire sans mandat. Le “nous” de l'introduction à ce billet n'est pas celui d'un porte-parole auto-proclamé ni d'un ventriloque, mais le simple constat que ces temps-ci se dessinent assez clairement des “nous” desquels on peut se revendiquer ou se séparer, ou dont on peut espérer les voir converger. Ce que je qualifie ordinairement “salauds” dans mes écrits est assez bien représenté par ce que je nomme ces temps-ci les LOListes ou les Liguards du L0L, le premier terme désignant surtout un comportement, le second pointant un type de structuration qu'on dira “semi-formelle”, un groupe formel et hiérarchisé, une organisation informelle. Une autre étiquette que j'utilise est “cons”, cette fois représenté par les Gilets Jaunes, qui ne sont pas intrinsèquement cons mais sont, disons, “psychologiquement” et structurellement “cons”, qui ont une représentation d'eux-mêmes comme “en bas”, comme “inférieurs”, et que la structure sociale contraint et cantonne, mettant en place des mécanismes qui les contraignent à l'infériorité et les divisent pour se prémunir d'une toujours possibilité de “coalition des cons”. Or, l'intérêt du mouvement des Gilets Jaunes est précisément d'initier cette coalition, où par l'échange et la confrontation les “cons” se découvrent “non cons” et surtout, se découvrent “les mêmes” alors que la structure sociale les induit à la différence, à se voir autres que le voisin, le distant et le lointain. Et il y a ce “nous” dont je me revendique, ni cons et ni salauds mais tout de même un peu cons et un peu salauds, j'allais écrire «et en même temps un peu cons et un peu salauds», sauf qu'une bande de salauds a mis un copyright sur “et en même temps”, ce qui limite ma liberté de parole en m'empêchant d'utiliser un lieu commun parce qu'il a été privatisé.

Nous vivons une époque intéressante, où tout est susceptible de faire l'objet d'un brevet, d'un dépôt de marque ou d'un droit exclusif de copie, les molécules, les gènes, l'air, l'eau, la parole, tout ce qui est notre commun devient privatisable, la vie même est soumise à copyright, d'où la difficulté de vivre de beaucoup, qui doivent acheter leur droit à vivre, et l'acheter à crédit. Nous connaissions la pauvreté héréditaire, désormais elle est à tempérament avec transmission de la dette aux générations futures. Quelqu'un l'avait promis il y a près de trois mille ans, désormais on ne dira plus en ce pays «Les parents ont mangé les raisins verts, les dents de leurs enfants en ont été agacées». Ma foi, trois mille ans plus tard, en ce pays on peut encore le dire. Et en tout autre pays. Une époque où les “responsables” sont irresponsables et où les “irresponsables” sont responsables – sont responsables de la responsabilité des responsables.

Les Liguards du L0L sont dérisoires – tenant compte que leurs actes n'ont rien de dérisoire quand aux effets qu'ils ont sur les personnes qu'ils soumettent à leur acharnement destructeur – mais représentatifs de la structuration de nos sociétés, ce sont, disais-je ailleurs, les Kapos de la pensée, des “droits communs” qui pour préserver leurs droits très restreints de petits chefs se font les gardiens des “sans droits”, des “prisonniers politiques”, ils se font les gardiens de leurs pareils pour le seul profit de leurs maîtres et la seule récompense de recevoir double ou triple ration de lentilles, ce qui leur permet de durer un peu plus et d'être un peu moins affamés.

Je vous laisse poursuivre la réflexion, avec un conseil cependant, ne la poursuivez pas seule ou seul, réfléchir tout seul ce n'est pas réfléchir, on ne peut pas réfléchir par soi-même, jamais.